Charles Barrier, l’autre fondateur de la Grande Cuisine

Au sein du temple de la haute gastronomie à Collonges au Mont d’Or, Paul Bocuse s’est toujours attelé avec passion, ferveur et honnêteté à promouvoir une cuisine française classique, dénuée de tout artifice,  loin des modes avec un souci de rigueur et de professionnalisme. Une cuisine pétrie de simplicité, sans chichis qui valorise avant tout le produit et prend soin du goût, une cuisine dans laquelle il est aisé de reconnaître les ingrédients et leur texture, loin de toute déstructuration ou tour de magie moléculaire. C’est cette cuisine française, cette Grande Cuisine que Monsieur Paul a toujours mis en œuvre dans son vaisseau amiral.

Pas de recettes compliquées mais des plats compréhensibles de tous, ainsi que le souligne Joël Robuchon :

Paul Bocuse ne fait pas un mélange de cuisines sophistiquées. Les plats qu’on mange chez lui, on a envie de les manger tous les jours : un bon poulet rôti, des asperges accompagnées d’une superbe vinaigrette, Bocuse est un cuisinier qui ne ment pas.

C’est bien de cela dont il s’agit : la Grande Cuisine française n’a pas besoin de mentir pour exister et se démarquer. Henri Gault et Christian Millau éblouis un soir par une salade de haricots verts « servis croquants, avec une odeur de jardin et une saveur exceptionnelle », évoquent une « cuisine grandiose dans l’extrême simplicité ».

Dans cette entreprise authentique pour préserver la tradition, Paul Bocuse a su s’entourer des bonnes personnes. Il est des rencontres et des amitiés fécondes qui génèrent de belles aventures. Et sur sa route de globe trotter, Paul Bocuse a croisé le chemin de Charles Barrier, « l’autre fondateur de la Grande Cuisine ». C’est avec lui qu’il crée en 1970 une société anonyme baptisée la Grande Cuisine française dont l’ambition est de défendre les intérêts des douze chefs trois étoiles Michelin de France : les frères Troisgros, Roger Vergé, Louis Outhier, Paul Haeberlin, Michel Guérard, Alain Chapel, Gaston Lenôtre, Raymond Oliver, René Lasserre et Pierre Laporte. Les Copains d’abord, tous ensemble derrière la Grande Cuisine.

Charles Barrier fut l’un des plus grands chefs français de l’après-guerre, influençant toute une génération de cuisiniers par ses habitudes culinaires révolutionnaires, insufflant de la modernité à la cuisine classique. Il était à Tours ce que Paul Bocuse est à Lyon ! Un symbole de la grande cuisine française.

C’est à l’âge de 12 ans qu’il découvre sa vocation. A 15 ans, l’univers de la cuisine s’ouvre à lui au restaurant le Nègre à Tours. Il passe ensuite par les brigades du Lucas Carton et de Larue à Paris puis officie au service du baron de Rotschild et du Prince de Monaco avant d’être engagé à Monte Carlo et à Vichy dans des établissements prestigieux. De ces expériences, il dénonce une « cuisine uniforme de palace tout droit sortie du moule d’escoffier ». En 1955, il obtient une étoile pour le restaurant le Nègre racheté en 1944, avant de décrocher trois ans plus tard le titre de MOF. En 1968, c’est la consécration ! Le restaurant Charles Barrier à Tours est auréolé de trois étoiles, grâce à la notoriété de plats tels que la terrine aux trois poissons, le saumon du Val de Loire, les quenelles de brochet, le poulet au vinaigre ou le poulet rôti.

En précurseur, Charles Barrier fut le premier cuisinier à avoir fait son pain lui-même, véritable magicien des fournils, réminiscence de son enfance paysanne, mettant à l’honneur des accords mets-vins et pain de façon subtile et raffinée.  Cet esprit Barrier qui consistait à promouvoir des produits du terroir sur une grande table gastronomique, Hervé Lussault, son digne successeur depuis 1995, continue de le perpétuer au restaurant Charles Barrier. Bocuse, Barrier et sa bande ont su redonner ses lettres de noblesse à la cuisine française. Celui qui aurait l’impunité de dire « la cuisine française, c’est fini » devrait immédiatement se rendre à Collonges au Mont d’Or pour savourer une poularde de Bresse aux morilles !