Cuisinier, confident, chauffeur, homme multitâches : l’indispensable Serge Cotin quitte la Maison Bocuse après 56 ans de bons et loyaux services, dont plusieurs décennies mémorables auprès de Monsieur Paul.
L’aventure allait durer toute une vie mais à 18 ans, Serge Cotin ne s’en doute bien sûr pas encore lorsqu’il arrive à Collonges au Mont d’Or. Le jeune homme vient de passer deux ans en apprentissage chez Gérard Nandron. Il n’a pas choisi cette voie par vocation, mais par opportunité, grâce à une relation de sa mère qui connaissait le chef, lequel l’envoie chez son grand ami Paul Bocuse après deux ans d’apprentissage. Dans la cuisine du prestigieux restaurant triplement étoilé, la pression est difficile à supporter : Serge demande à aller à l’Abbaye s’occuper des banquets, ce qui lui est accordé. Vient un jour où il passe de la cuisson des canards à l’abattage d’un frigo pour installer des toilettes, s’étant proposé pour accomplir cette tâche. Sans doute le moment où il devient, de façon informelle, « l’homme toutes mains » de la Maison (intitulé qui plus tard figurera sur sa fiche de paie), tout en montant dans la hiérarchie : commis, cuisinier, puis chef. Durant les années qui suivent, Serge Cotin est à la fois au four et à l’étang, où il accompagne régulièrement Paul Bocuse et où il installera des nichoirs à canard. Il est en fait un peu partout, pour redonner un coup de peinture, effectuer de petites réparations, à la fois bricoleur et décorateur, attentif à ce que tout reste toujours impeccable comme l’exige l’excellence des lieux. Il est aussi le chauffeur de Monsieur Paul et de Madame Raymonde, toujours disponible pour eux.
Parmi les innombrables souvenirs qui se sont forgés au cours de ces 56 années passées à Collonges, il garde l’image de Paul Bocuse faisant de la planche à voile sur la Saône lors d’une crue particulièrement élevée, se rappelle avec émotion l’installation du spectaculaire grand limonaire à l’Abbaye, se souvient de la première fois où il a pris l’avion : destination New York, où son patron l’emmène pour le banquet d’une grande marque de produits. S’il a croisé de nombreuses célébrités venues à Collonges, un moment l’a particulièrement marqué : le tournage à L’Abbaye d’une scène du film Verdict, d’André Cayatte, où s’affrontaient les deux monstres sacrés Sophia Loren et Jean Gabin.
Fin 2024, Serge Cotin a définitivement quitté le restaurant. Son corps lui a rappelé qu’il était temps de souffler un peu. Depuis quelques années, il continuait de venir deux jours par semaine pour procéder aux indispensables menus travaux du quotidien. Désormais, il se promène, fait du vélo, passe régulièrement au restaurant saluer l’équipage, voyage avec son épouse… Mais où qu’il soit, parfois à l’autre bout du monde, Serge Cotin n’est jamais très loin de Collonges, telle une mémoire vive du lieu et de celui dont il aura été le fidèle accompagnateur et confident qui savait « tout écouter et ne rien dire ».
Crédit Photo : Livre d’Auberge et d’histoire(s) – Bocuse Edition