Christophe Muller : « Je considère Monsieur Paul comme mon grand-père »
Si depuis 6 ans, l’Alsacien ou le commis aux neuf étoiles alias Christophe Muller occupe le poste de Chef exécutif du vaisseau amiral de l’auberge de Collonges et celui, prestigieux mais ô combien exigeant de cuisinier personnel de Paul Bocuse, il lui aura fallu de la ténacité et de l’acharnement pour accéder à ce grade. Un parcours qui reflète toute la passion et l’admiration d’un homme envers celui qu’il nomme affectueusement Monsieur Paul et qu’il considère un peu comme « son grand-père ».
Sa première rencontre avec le Maître remonte à 1989.
« J’ai été impressionné par la grandeur du personnage, sa toque et son charisme. Il émane de lui une aura incroyable et fascinante. Travailler chez Paul Bocuse a d’abord été le rêve de mon grand-père, lui-même cuisinier, avant de devenir le mien ».
Le plus jeune MOF de France
Après un apprentissage chez Marc Haeberlin à l’Auberge de l’Isle, le jeune homme refuse d’aller chez Troisgros pour travailler auprès de Paul Bocuse comme commis et faire partie de cet équipage. « J’avais 17 ans et j’y suis resté deux ans avant de me former pendant trois ans chez Joël Robuchon ». Déterminé et audacieux, Christophe Muller n’a qu’une idée en tête : devenir Chef, très jeune. Il pousse alors la porte de Yann Jacquot qui lui confie la responsabilité de sa brigade pendant une année puis effectue son service militaire à Matignon au service d’Edouard Balladur. « A Noël, en 1995, alors que nous étions attablés avec des amis tous cuisiniers, on a fait un tour de table, chacun devant faire part de son rêve ! Mon rêve, c’était qu’on me rappelle à Collonges. Tous mes amis m’ont dit : Tu es fou, tu te souviens de tes deux années difficiles ! ». Certes, mais il en faut plus pour décourager Christophe Muller !
Un vœu exaucé car trois semaines plus tard, Paul Bocuse, alors entouré de Jean Fleury et Roger Jaloux, rappelle le jeune homme pour lui confier la place de Sous-Chef. Aucune hésitation, Christophe Muller plonge à corps perdu dans le travail au sein de cette pépinière formatrice d’excellence qu’est l’auberge de Collonges pour devenir, en 2000, le plus jeune MOF à 27 ans. Avec ardeur et beaucoup de sacrifices, le jeune homme fait ses preuves, attendant patiemment son tour pour devenir Chef de cuisine. Depuis 16 ans, Christophe Muller a gravi les échelons du navire, voyageant aux côtés de Monsieur Paul à l’étranger et développant une relation quasi-filiale avec lui.
Technicité et simplicité
« C’est quelqu’un d’entier et d’exigeant sur la qualité du travail. Il faut être bon et performant tout le temps. Monsieur Paul n’aime pas les coups d’éclat, ce qu’il demande à son personnel, c’est une régularité permanente ». Une exigence que le Chef applique à lui-même en montrant l’exemple et en transmettant son savoir-faire. « Ce qui m’a toujours plu, c’est de le voir avec un couteau à la main. Il possède une facilité de découpe, une connaissance exacte et précise des muscles des animaux. Il m’a appris également la gestion de la cuisson à l’oreille »
Outre la technicité et la maîtrise du geste, ce que Christophe Muller retient de l’enseignement de Monsieur Paul, c’est « l’éloge de la tranquillité, de la réflexion de la lenteur et de la simplicité. Un bon produit, un bon assaisonnement, voilà ce qu’est une bonne cuisine». Simple comme Bocuse ! C’est d’ailleurs le titre de l’ouvrage que Christophe Muller a co-écrit avec Monsieur Paul en 2008, « un immense honneur qui reste gravé dans ma mémoire ».
Une relation de confiance
Cette philosophie du travail bien fait, Christophe ne cesse de la mettre en application quotidiennement. Après tout, comme l’a toujours souligné « le patriarche » : « Bien faire un travail ne prend pas plus de temps que le faire mal ».
Rigueur, soin du détail, discipline autant d’ingrédients qui permettent de bien maintenir le gouvernail de la cuisine et de faire plaisir aux clients. « Certes, nous avons des codes et des règles à respecter, un peu comme à l’armée mais nous sommes heureux de nous lever chaque matin pour venir travailler ici ». L’auberge de Collonges, plus qu’un simple lieu de travail, un véritable port d’attache dans lequel chaque membre de l’équipage joue un rôle essentiel.
Embarqué depuis 16 ans à l’auberge de Collonges, Christophe Muller connaît le palais de Monsieur Paul « par cœur », le degré de cuisson exact de la viande, la proportion de sel, la saveur des légumes et le goût : « Il ne supporte pas qu’on rate les steaks tartares. Tous les jours, on a la pression, on a un peu peur de rater à chaque fois ! » Un équipage dévoué et entièrement aux petits soins de Paul Bocuse, jusqu’à l’hôpital ! « Lorsqu’il y est resté un mois et demi, il m’a dicté tous les menus, il savait exactement ce qui lui convenait pour se remettre en forme. Je lui rendais visite avec ses repas. »
Un savoir-être en héritage
Cette complicité, ce lien entre Christophe et Monsieur Paul s’est nouée au fil des voyages. « J’ai eu la chance de le côtoyer et de partager des moments extraordinaires ». De ces voyages, l’Alsacien en conserve quelques anecdotes, qui reflètent le tempérament humaniste de Paul Bocuse. « Quand on partait à l’étranger, il me calmait lorsque j’étais inquiet et anxieux. Il me répétait toujours : Ne t’inquiète pas, minuit arrivera ! C’est le propre des génies, de réussir à vous contenir ou au contraire de vous donner un tempo » Une sagesse et des leçons de vie qui ont fortement impressionné Christophe Muller. « Il aime faire plaisir y compris à ses ennemis et surtout il déteste qu’on maltraite les gens ». Une générosité que l’on retrouve dans l’une des devises célèbres de Monsieur Paul : « Faire du bien, ça ne fait pas de mal ». En invitant les clients à voyager par les sens, « nous sommes des marchands de bonheur ».
Tout ce que Christophe a appris auprès de Monsieul Paul, il le transmet désormais aux autres cuisiniers. « J’adore la pédagogie, parler de mon parcours, de mon métier, l’enseigner. Il n’y a pas de culte du secret, aucune recette n’est cachée, il faut savoir rester humble ». L’humilité, encore une autre leçon de vie de Monsieur Paul : « la vie, c’est une grande partie de plaisanterie ».