Tout comme les marins corsaires qui portent sur leur peau les traces indélébiles de leurs aventures, évocation tatouée de leurs multiples périples, Paul Bocuse arbore avec fierté et respect un bien mystérieux gallinacée sur son épaule, symbolisant une étape clé de sa vie. Etrange coïncidence ! Un coq en guise de tatouage pour celui qui adore cuisiner la poularde de Bresse. Pourtant, ce tatouage là n’est pas le fruit d’un quelconque coup de tête du Chef mais reflète plutôt un épisode douloureux de son histoire personnelle.
Un tatouage, comme une blessure de guerre en somme. En 1944, alors que la guerre sévit et que Les Collongeards, comme la plupart des villages de France se partagent entre collabos et résistants, le jeune Paul Bocuse alors âgé de 17 ans choisit son camp en s’engageant dans l’armée de la libération du général de Gaulle.
Un engagement qui le conduit avec son régiment de l’Italie aux Vosges jusqu’à la plaine d’Alsace où il échappe de peu à la mort, blessé par des balles ennemies en pleine poitrine à quelques centimètres du cœur. Sa survie, il la doit à des soldats américains qui prennent soin de lui et l’emmènent dans un hôpital de campagne de l’US Army pour qu’il reçoive des transfusions sanguines. Du sang « américain plein les veines », comme il se plaît à le répéter sous forme de boutade, et un coq gaulois tatoué sur l’épaule, tel est le legs de ces soldats. Un tatouage fétiche qui inaugure les prémisses d’une future amitié avec les Américains.
Un coq qu’il transforme en « copain » complice et confident lorsque que « quelqu’un l’embête » et à qui « il parle à voix basse pour se calmer et déstabiliser l’adversaire » ! À croire que Monsieur Paul entretient une relation particulière et singulière au coq, lui qui possède le don d’hypnotiser les coqs et d’imiter le cri des oiseaux. De cette épreuve du feu vécue au cours de la guerre, Paul Bocuse en puise une volonté de vivre incroyable qu’il met au service de la gastronomie pour conduire son équipage vers les cimes et faire briller les étoiles. Et comme il le confesse dans les Mémoires de chefs de Nicolas Chatenier : « La France tatouée par les Américains, c’est ça aussi l’Histoire » !