Daniel Boulud, le supplément d’âme lyonnais de Monsieur Paul à New York..

« Ma rencontre avec Paul Bocuse remonte à 1969 aux Halles de Lyon place des Cordeliers. J’étais alors jeune apprenti, je venais de commencer dans le métier auprès de Gérard Nandron, meilleur ami de Paul Bocuse. Et j’apprenais à suivre mon chef pour ramasser les commandes dans les halles où je croisais régulièrement Paul Bocuse. Par ailleurs, ce dernier avait également l’habitude de prendre un petit café chez Gérard Nandron », se souvient le chef étoilé Daniel Boulud, qui vit à New York désormais. De ces premières rencontres avec Bocuse, celui-ci conserve l’image d’un chef « poli, toujours prêt à encourager les jeunes ».

« Par la suite, j’ai eu l’occasion de travailler de temps à autre à l’auberge de Collonges pour dépanner Paul Bocuse lorsque ce dernier se trouvait à court d’effectifs. J’étais très intimidé, très impressionné par la puissance de cette maison. C’est pour cette raison que j’ai voulu  travailler dans un trois étoiles par la suite pour comprendre vraiment la signification d’un trois macarons ».

A la conquête des Etats-Unis

Daniel Boulud cumule alors les expériences auprès des maisons les plus prestigieuses. Georges Blanc, Roger Vergé, Michel Guérard, autant de grands chefs auprès desquels Daniel Boulud a exercé et appris.

En 1982, il part à la conquête des Etats-Unis et travaille à New-York en tant que chef adjoint au Westbury Hotel avec le chef américain Thomas Keller.  « Il se trouvait que Paul Bocuse avait alors monté en association avec Roger Vergé et Gaston Lenôtre un complexe à Orlando en Floride. Or pour effectuer Paris-Orlando, il fallait passer par New-York. Souvent, les trois compères restaient alors quelques jours en escale à New-York au Westbury Hotel. J’avais alors l’occasion de leur préparer à manger. Pendant 10 ans, j’ai pris plaisir à recevoir les 3 Mousquetaires ». Au fil de ces rencontres, une complicité se noue avec Paul Bocuse. Après le Polo Lounge au Westbury Hotel, Daniel Boulud ouvre le Regence au Plaza Athénée hôtel. « Pour l’occasion, tous les chefs s’étaient réunis et nous avons fêté les 60 ans de Paul à New-York entourés de 80 personnes. » Une fête placée sous le signe des retrouvailles.

Daniel Boulud poursuit alors sur sa lancée américaine et sur les conseils de Paul Bocuse, en 1986, il devient chef exécutif au restaurant new-yorkais le Cirque jusqu’en 1993 avant de s’installer et de concrétiser son rêve : ouvrir sa propre enseigne, le restaurant Daniel à Manhattan Upper East Side. « Paul Bocuse m’a toujours soutenu. Il était attentif à ce que tout le monde soit heureux ». Des relations professionnelles qui au fil du temps se muent en amitié sincère et profonde. « J’ai rencontré son fils Jérôme et je suis devenu le parrain de Petit Paul, son petit-fils. Je suis rentré dans la famille par le biais de la restauration. Nous avons passé des moments mémorables  ensemble à faire du ski nautique, à cuisiner ensemble, à célébrer l’amitié et les bonnes choses ». Une célébration de l’amitié qui trouve son apothéose, il y a 20 ans, à l’occasion du déménagement du restaurant Daniel dans l’ancienne location du Cirque. Ce dernier a en effet réussi un coup de maître ou de chef : réunir tous ses maîtres d’apprentissage et de formation à New-York pour leur rendre hommage et fêter l’ouverture. « Ils sont tous venus et c’était un plaisir de pouvoir faire voyager Gérard Nandron qui détestait cela. »

Coach de l’équipe américaine pour le Bocuse d’Or 

Daniel Boulud devient dès lors l’ambassadeur de Paul Bocuse à New-York. « Il était fier que je représente Lyon ». Il y a une dizaine d’années, en 2008, Monsieur Paul demande à Chef Daniel de devenir coach des Etats-Unis avec Thomas Keller comme président pour le Bocuse d’Or. « Il était désespéré de voir que les chefs américains ne remportaient pas ce trophée alors qu’il était persuadé du potentiel culinaire américain. ». Daniel Boulud et Thomas Keller créent alors une fondation baptisée Ment’Or pour lever des fonds afin de bien s’entraîner et réaliser de belles performances au Bocuse d’Or. « Nous avons participé 4 fois au Bocuse d’Or à Lyon. Nous progressions, nous nous organisions et il y a 4 ans, nos efforts ont été couronnés par le Bocuse d’Or d’argent et il y a 2 ans, nous avons décroché le Bocuse d’Or ». Une consécration pour Paul Bocuse qui voulait à tout prix que les Américains se trouvent un jour sur le podium ! « Nous avons réalisé son souhait. Il était tellement heureux. Paul a toujours été un visionnaire. La cuisine américaine a beaucoup évolué ».

La cuisine de Bocuse, source d’inspiration aux Etats-Unis

Cette gastronomie américaine, Daniel Boulud l’incarne parfaitement avec ses trois étoiles, en digne héritier de Paul Bocuse. « Paul aimait beaucoup partager ses déjeuners en famille. Sa cuisine demeure une référence pour moi. Lors d’un séjour à l’Auberge, j’ai eu l’occasion de découvrir le nouveau plat qu’il venait d’élaborer : le rouget en écailles de pommes de terre cuit à l’unilatérale avec sa petite glace de rouget. Je trouvais juste génial de cuire la pomme de terre. Les écailles de pommes de terre dorées cuisaient le rouget, lui permettant de conserver sa texture et sa saveur. C’était à la fois très simple et très technique ! »

Un plat qui inspire alors Daniel Boulud et qui lui permet de créer un plat qui devient emblématique aux Etats-Unis sans pour autant être une copie. « 30 ans plus tard, je sers encore la paupiette de loup de mer entouré d’un croustillant de pommes de terre accompagnée d’un beurre au vin rouge. J’utilise une grosse pomme de terre, très longue. Une fois pelée, je réalise des bandelettes avec la mandoline, que je fais légèrement chevaucher avant de les blanchir et de les rouler dans du beurre clarifié. Le filet est ensuite enrobé dans la pomme de terre et il suffit de faire cuire la pomme de terre des deux côtés pour que le poisson soit cuit ».

La transmission d’un savoir-faire et d’une ouverture d’esprit

Un héritage culinaire que Daniel Boulud à 63 ans continue de partager. En effet, dans la lignée de Paul Bocuse, le chef américain aux racines lyonnaises  œuvre pour la transmission du savoir-faire et des gestes du métier en aidant les jeunes chefs, à travers des compétitions pour les commis à Las Vegas, ou en attribuant des bourses aux jeunes cuisiniers afin qu’ils voyagent et effectuent un stage où ils le désirent. « Notre ambition, c’est de les aider à prendre de l’ouverture d’esprit. Encourager, transmettre, créer un vivier de jeunes talents, c’était l’esprit de Paul Bocuse. Il cultivait la formation, il témoignait toujours de l’intérêt pour cette jeunesse passionnée, qui ne cesse de se renouveler. Et de fait, nous avons des jeunes extraordinaires et pas mal de femmes qui se lancent dans ce métier », conclut Daniel Boulud.